A peine élu, en juillet 2007, Nicolas Sarkozy débutait une attaque sans précédent contre l’enseignement supérieur français qui, s’il n’est pas parfait, est un élément essentiel de notre service public de l’enseignement. En faisant voter à la faveur de l’été une loi relative aux libertés et responsabilités des universités (LRU), le Chef de l’Etat a plongé les universités françaises dans un bourbier unique en son genre. Couplée à un déficit criant en personnel, l’application de cette loi a fait perdre plus d’un an aux équipes de recherches. Les dirigeants des universités sont en effet les mêmes qui travaillent dans les laboratoires, et comment trouver la sérénité nécessaire à la recherche quand il faut dans le même temps organiser de nouvelles élections, élire un président et modifier les statuts, le tout dans un climat d’urgence et de tension très présidentiel… Ce retard les universités auraient très bien pu le gérer si cette LRU n’avait pas déstabilisé en profondeur la communauté universitaire, le seul objectif de cette loi étant de recentrer la gouvernance des établissements publics d’enseignement supérieur autour d’une petite équipe de direction pour leur permettre de gérer la masse salariale et les ressources immobilières… Le Président de la République pensait pouvoir exporter son mode de pouvoir si particulier, mais la gestion des universités reposait sur une relation de confiance, issu de l’exercice démocratique, entre son équipe de direction et ses acteurs. Les conseils étaient davantage les lieux de débat et de discussions indispensables à la prise de décision réfléchies que des chambres d’enregistrement des volontés d’un dirigeant…
Voici sommairement décrit un portrait de l’enseignement supérieur français en cette rentrée 2008. Rupture de confiance entre équipe de direction et personnels, démotivation des équipes de recherche, sentiment d’abandon par la tutelle. D’aucun aurait pu penser que tout allait rentrer dans l’ordre, que la confiance allait revenir, qu’une fois de plus l’attaque ne laisserait que quelques cicatrices… C’était sans compter sur l’imagination débordante du Président de la République. En quelques semaines ont été annoncées une réforme de la formation des enseignants, une autre des formations de santé, et encore une concernant les modes de dotation financière des universités. Raisonnables bien que très inquiets, tout le monde se mit au travail sur ces annonces. Les contenus des formations ont été travaillés, débattus… Jusqu’à cette nouvelle provocation portée par le début de l’hiver : Suppression de plusieurs centaines de postes dans l’enseignement supérieur et décret de modification du statut des enseignants chercheurs. Alors comment, oui comment, faire de la recherche, gérer des établissement de plusieurs dizaines de milliers d’étudiants, travailler sur trois réformes, faire des cours, surveiller des examens, mieux encadrer les étudiants, être à leur écoute, si le nombre de postes déjà terriblement insuffisant diminue encore et encore ? Derrière les annonces du gouvernement se cache un fait troublant. En effet le ministère a investie des sommes importantes dans l’enseignement supérieur : plan campus, plan réussite en licence. Mais ces plans sont totalement inefficace puisque les université n’ont pas les moyens humains de les mettre en œuvre. Comment assurer un meilleur encadrement des étudiants de première année quand le nombre d’heures supplémentaires à l’Université de Rouen représente le temps de travail de 450 enseignants chercheurs ?
Les propos récents de Nicolas Sarkozy à l’encontre des universitaires n’a été que la goutte qui a fait déborder un vase déjà bien rempli. Mais revenons quand même sur ce discours. Selon le Chef de l’Etat, la recherche française est inefficace… Alors comment ce fait-il que selon des classements très américains le CNRS est classé 4ème organisme mondial et 1er européen ? Faut-il s’étonner que les chercheurs publient moins quand on leur demande de travailler sur 3 réformes en 3 mois ? Il parait aussi que les universités françaises sont mal notées… Mais que signifie un classement entre nos universités qui répondent à une mission de service public, ouvertes à tous avec des frais d’inscription de quelques centaines d’euros, et des universités anglo-saxonne ultra sélective à plusieurs milliers d’euros l’année ? En s’attaquant à l’enseignement supérieur français, le Président de la République cherche à déstabiliser la notion même de service public. Derrière le projet de « masterisation » (recrutement des enseignants à un niveau bac +5), se cache en fait une volonté de fragiliser profondément le modèle éducatif français. Actuellement, les futurs enseignants passent un concours à niveau bac +4 et bénéficient d’un an de formation professionnel avec le statut de fonctionnaire stagiaire. Dans le nouveau modèle imposé, il n’y a plus cette étape de formation professionnelle. Les enseignants de demain seront envoyés en classe – pour la plupart en ZEP – sans aucune expérience professionnelle !
Le monde éducatif est souvent perçu comme corporatiste et conservateur. Personne ne nie aujourd’hui la nécessité de réforme, de changement. Les universités françaises sont passées en près de 40 ans de quelques centaines de milliers à plus de 2 millions d’étudiants. Naturellement des évolutions sont souhaitables, mais doivent-elles pour autant se faire contre les principaux intéressés ? De la maternelle au supérieur, tous veulent s’investir dans leur mission de service public et tous souhaitent des évolutions. Aujourd’hui, l’enseignement supérieur a plus que besoin d’un vrai budget pour pouvoir fonctionner correctement. La recherche a besoin d’être une vraie priorité nationale à la fois en moyens humains et financiers. Sur le graphique (source : OCDE 2007/2) ci-dessous est représentée la part du PIB consacrée à la recherche en France depuis 1980. La corrélation entre gouvernement de Gauche (en rose) et augmentation de crédits est aussi nette que celle entre gouvernement de Droite (en bleu) et diminution de crédit !
Avec un budget à la hauteur de ses missions, l’enseignement supérieur retrouvera toute son énergie et sa créativité, à la fois en matière de recherche, d’innovation et de progrès social. Ce n’est qu’accompagnée d’investissements et de créations de postes qu’une réforme de l’éducation pourra avoir lieu pour garantir le succès de la démocratisation de l’accès aux savoirs.
Source : MJS76